« Tiens, une soirée dans les environs ! »

C’est parti pour le quatrième opus de notre rétro 100% UTMB. Dans le rôle du rédacteur, cette fois : Guillaume, finisher de la CCC, après avoir dompté le 85 km du Mont-Blanc deux mois plus tôt. Récit.

6h30, Chamonix. C’est parti pour… une heure de route ! Direction l’Italie, de l’autre côté du massif du Mont-Blanc, et la ville de Courmayeur. Installés à l’avant de la navette, comme des écoliers dans un bus scolaire, Benj’ et moi n’avons de cesse de discuter. L’ambiance est bonne et détendue. Pour le moment.

7h30. Nous arrivons à Courmayeur. Et première bonne nouvelle ! Côté italien, le soleil est au rendez-vous, la vue y est magnifique. Par contre, il est tôt, il faut marcher pour rejoindre la ligne de départ et il fait froid (à part ça, nous sommes heureux d’être là !).

Photo de famille avant les hostilités !

Après un rapide passage aux toilettes – c’est la seconde bonne nouvelle (les habitués comprendront) ! -, nous retrouvons nos suiveurs. Cela fait plaisir de voir mes parents, ceux de Benj’, ainsi que Jean-Marie, qui a fait la route pour venir au départ alors que Micka’ n’est pas sur cette course. Sourire jusqu’aux oreilles, ils semblent en pleine forme. Cela tombe bien, ils vont en avoir besoin ! « On va peut-être se diriger vers la ligne de départ, non ? »

8h15. Après quelques photos et les derniers conseils à nos suiveurs, nous quittons nos survêtements, direction le départ.

Concentrés ? Un peu, oui. Enfin, pas tout à fait…

Là, première mauvaise nouvelle de la journée. Notre crainte de la veille se transforme en réalité. Il y a des sas de départ. On se croirait sur le marathon de Paris. Sauf que là, on ne parle pas de temps référence, mais de numéro de dossards. Beaucoup plus aléatoire, donc. Je m’élancerai au sein du troisième et dernier wagon, à 9h30, soit quinze minutes après Benjamin. Notre espoir de faire la première montée ensemble s’envole. Et, d’un coup, les visages se tendent. A partir de maintenant, nous ne pouvons compter que sur nous-même.

Une tentative de négociation en « franco/italien » et un contrôle du matériel obligatoire plus tard, je me retrouve dans le…troisième sas ! L’attente est longue. 9h : premier discours, premier départ. 9h15 : deuxième discours, deuxième départ. Heureusement, j’ai rencontré « des gars du coin ». C’est un fait : le Maine-et-Loire est une terre de traileurs. Je me concentre. La pression monte. Je profite du moment mais j’ai des fourmis dans les jambes. Je veux absolument partir devant pour ne pas bouchonner ensuite.

9h30. Troisième discours et… Les premiers kilomètres dans Courmayeur sont intenses, du monde, des cris, des applaudissements. Sur ces courses, les départs sont à chaque fois des moments uniques, un curieux mélange d’émotions, d’appréhension et de fierté… Mais je suis concentré, à tel point que je ne vois pas Jocelyne et Nicole, postées sur le bord de la route. Oups, je m’en excuserai plus tard ! Au bout de 800 mètres, je suis quasiment devant. C’est la première que cela m’arrive. J’en rigole tout seul ! Sur le profil, une première montée de 10,4 km et de 1 435m de D+ est au programme : sûr, ça va gratter ! Après quatre bornes de bitume, nous attaquons « enfin » le sentier. J’avance, tête dans le guidon ou devrais-je dire dans mes bâtons. Je double quand je peux, je monte bien, trop bien même. A ce rythme, en moins de 2h15 je suis là-haut.

« Hoka Speedgoat, Brooks Cascadia, Salomon,… » Ces énumérations brisent le silence d’une première montée exigeante. Là, sur le bord du sentier, trois personnes « s’amusent » à relever les modèles de chaussures des concurrents. Je les regarde, étonné et me dis : « ils n’ont rien d’autre à f… ceux-là ? » J’avais oublié que nous étions sur l’UTMB ! Et les bouchons à venir vont définitivement me le rappeler. Dix minutes de perdues dans une partie très technique et dix minutes dans une montée en file indienne me feront franchir le sommet avec un peu de retard sur mon plan de route. Qu’importe. Je profite de ces espaces grandioses, du soleil et je discute avec mes collègues d’ascension. Surtout, je ne perds pas d’énergie à ruminer une situation à laquelle je m’étais préparé : la course est longue.

Au premier pointage, je retrouve Benj’. C’est cool, il semble en forme. Nous échangeons sur le départ, le début de course, tout en entamant la descente vers le refuge de Bertone et le premier ravito de cette CCC version 2017. Nous descendons bien, les sensations sont bonnes, il fait beau. Quelle chance nous avons d’être là ! Je pointe, je m’alimente et Benjamin me rejoint. Il s’était laissé légèrement décrocher sur la fin de la descente. Je lui demande si tout est ok, il ressent une légère pointe aux ischios. Mais ça va le faire. Il va prendre son temps. Je le connais le garçon, c’est un guerrier, il va aller au bout. Autour d’une soupe chaude, un regard et quelques mots suffisent. Je repars confiant pour nous deux.

La vue après la sortie de Courmayeur

La suite se passe bien, le temps est « toujours » clément, le terrain pas trop technique, « roulant » même parfois et les ravitos de Bonati et Arnouvaz s’enchaînent vite. Sur ce dernier, je prends quand même le temps de me ravitailler correctement, je me « goinfre » de fromages et de charcuteries Italiennes. Bizarre, moi qui n’en consomme jamais en course, je me surprends à dévorer ces spécialités locales. Je trouve rapidement deux raisons à ça, elles sont excellentes et c’est un signe de bonnes sensations physiques et mentales. On se rassure comme peu, non ? Du coup, je ne traîne pas. A la sortie du ravito, en direction du Grand Col Ferret, le temps se gâte sérieusement, cela ne pouvait pas durer. Le brouillard, le grésil et le froid s’invitent à la fête : la frontière Italo/Suisse se mérite.

Les températures sont presque négatives. On n’y voit rien. Le vent vous cingle le visage, vous refroidit, vous ralentit. Mais je suis content, heureux d’être là, emmitouflé dans ma veste rouge 100% Trail Angers, capuche vissée sur la tête. Bizarre, le mec. Arrivé en haut de ce fameux col, je pointe, je glisse des encouragements aux bénévoles cloués dans le froid et l’humidité et j’entame la descente, pressé de retrouver « la chaleur » de la vallée. Mais je ne sens plus mes doigts, congelés. Et la montagne de me rappeler que c’est elle qui commande… A cette altitude, une petite négligence se paye cash. J’en prends bonne note et m’empresse de mettre mes gants !

Même après des dizaines de kilomètres, le rythme est là. La photo, par contre, est floue !

A la Fouly, au km 41,5, tout va bien, mes doigts sont réchauffés et la descente s’est bien passée. Les suiveurs sont au rendez-vous, toujours en pleine forme, appareil photo dans une main, téléphone dans l’autre, afin de suivre les pointages de chacun. Je sens tout de même une petite crispation, car Benj’ n’a toujours pas pointé à Grand Col Ferret et le temps continu de se gâter…Pas de panique, la montée est longue et rendue difficile par les conditions. Je repars.
– « Tenez-moi au courant ? »
– « Ok, tu es annoncé à Champex à 19h10, bon courage, nous nous attendons Benjamin », me lance Nicole.
Sur cette longue portion bitumée entre La Fouly et Champex, qui n’a rien à envier au 10 km d’Angers, je croise régulièrement mes parents à qui je demande des news de Benj’, mais toujours rien. Il ne faut pas qu’il traîne, l ‘ami, sinon ça va vraiment devenir compliqué. On m’apprendra finalement que son pointage à Grand Col Ferret n’apparaissait pas, mais qu’il était arrivé à la Fouly. Ouf !

De mon côté, j’arrive à Champex à 19h15. Première assistance autorisée. Cela fait du bien. Du coup, je prends mon temps, un peu trop peut-être… Mais le fait de discuter me change les idées, car sans téléphone portable, en carafe pendant une grande partie de la course, je ne suis pas au courant des nouvelles. Alors, lorsque l’on me raconte les anecdotes de nos suiveurs, cela me fait bien marrer.
« Tu as l’air en forme ? Oui, je m’éclate, c’est top, mais ça pourrait ne pas durer… » Je continue…sous la pluie ! Il fait froid, le bonnet, les gants et la frontale ne me quitteront plus jusqu’à Chamonix, 45,7 km plus loin !

Direction le petit village suisse de Trient, en passant par la Giète à 2 000 mètres d’altitude. C’est long, mais j’avance encore sur un bon rythme, je fausse même compagnie à mes camarades de route. Après le col, j’arrive sur une bergerie, de la musique, des gens qui parlent : « Tiens, une soirée dans les environs ? » Le manque de lucidité, la nuit noire et la fatigue, m’ont fait oublier que j’étais à 1 800 mètres d’altitude, perdu en pleine montagne. Il s’agit simplement d’un check-point animé par une joyeuse bande de bénévoles… Malgré la bonne humeur réconfortante, je ne m’attarde pas et gagne le ravito de Trient. Deuxième assistance autorisée. Tout roule, nos assistants sont au top. Il faut dire que, sans leurs mettre la pression, nous les avions bien briffés. La faim et le manque de sommeil commencent à se faire sentir. Je me restaure mais ne m’assoupis pas et reprends le sentier rapidement. A partir de Trient, je visualise la fin de course et il y aura du monde. Cela va m’aider. La montée vers Catogne est pénible. Je suis dans un wagon qui m’enferme dans un faux rythme et je n’arrive pas à doubler, du coup je commence à ruminer (un peu) ! Finalement, je gagne le somment en 1h25 et Vallorcine une plus tard. Là, un comité d’accueil m’attend dès la sortie du sentier. Au son de la Cucaracha, bière à la main, les potes me souhaitent mon anniversaire : 34 ans, ça s’arrose ! Finisher de l’OCC la veille, Fab’, accompagné de son pack, semblera déçu devant mon refus d’en partager une ensemble, mais mon estomac fait des nœuds et le smile a quelque peu disparu. Pour la bière, je me rattraperai plus tard, promis.  Au ravito, je trinque au coca et malgré une forte odeur corporelle et des vêtements maculés de boue, mes suiveurs me claque la bise. Regonflé, je file vers Chamonix, via le col des Montets, en compagnie de Max. Ce bout de chemin partagé ensemble me fera le plus grand bien. Nous parlons des uns et des autres, de Ben et Micka’ sur l’UTMB, de Benj’ sur la CCC, de la course élite et de ses extra-terrestres de l’ultra trail. Il me raconte aussi les anecdotes croustillantes de la vie de suiveurs… Le temps passe vite, on arrive aux Montets et Max repart en voiture.

« Rendez-vous à Cham mon pote ! » Je veux arriver après 20h ou 20h30 de course, comme j’avais prévu. Mais c’était sans compter sur une dernière montée « rock n’roll ». 2h05 de souffrance(s). Une dernière soupe, un changement de pile au pointage de la Flègère et un manque certain de lucidité me feront arriver à Chamonix huit minutes au-delà de mes prévisions. Rageant. Le dernier kilomètre sur le bitume chamoniard, partagé en mode « triathlète » avec mon beau-frère, n’aura donc rien changé. Je franchis la ligne en 20h38min01, vidé mais heureux d’avoir encore vécu une belle aventure sportive et humaine. Et c’est bien ça le plus important.

Guillaume


LES AUTRES RECITS

Dans les pas de Jérémy

Dans les pas de Benoît

Dans les pas de Mickaël

L’UTMB en vidéo

One Comment

Add a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *