« Encore quelques mètres… »

Cette fois, c’est la fin. Oui, c’est la fin de notre série « Retour sur l’UTMB », avec Benjamin, pour qui « préparation tronquée » ne veut pas dire « CCC inachevée ». Chapeau.

La délivrance de l’arrivée…

Bon, il faut bien l’avouer, c’est un peu compliqué de mettre des mots sur cette épreuve. Même quatre semaines après, je ne sais pas trop par quel bout commencer. Mais il faut bien se lancer, alors on va partir du départ.

Vendredi 1er septembre 5h30 (H-3h45) : Allez on se réveille avec l’ami Guillaume. Petit déjeuner du sportif. On essaye tant bien que mal de couper le gâteau sport. Cela nous apprendra à faire des tests le jour J. Il est dur comme de la pierre ce gâteau… On se prépare gentiment Cela sent l’huile de massage et la crème NOK : c’est bon tout ça !

6h30 (H-2h45) : Le plus courageux dans l’histoire, c’est Jérémy qui s’est dévoué pour nous emmener à Chamonix récupérer notre navette. Encore une nuit bien sympa pour lui… Désormais, direction Courmayeur.

7h30 (H-1h45) : On arrive à Courmayeur sous le soleil. Cela fait plaisir. Nous retrouvons nos parents et Jean-Marie, qui ont tous tenu à nous voir au départ. Nous sommes plutôt détendus, le matos est prêt. Y a plus qu’à. C’est à ce moment là où l’on croise Ludovic Pommeret : la même passion mais pas tout à fait la même course. Lorsqu’il franchira la ligne, je pense que je serai à mi-course… Bref, Il ne faut pas y penser. On s’avance tranquillement vers le départ. On comprend alors qu’il y a bien trois vagues et que nous ne sommes pas dans la même. On essaye vaguement de négocier mais la seule proposition est que je parte dans la vague suivante, c’est-à-dire la dernière.  Je réfléchis deux minutes et me dis que les quinze minutes d’avance me seront peut-être bien utiles par la suite…

A Courmayeur, avant le début des hostilités

9h00 (H-15’) : Départ de la première vague, les hélicos et autres drones au-dessus de nos têtes me font prendre conscience que ça y est je suis bien là au départ et que je suis quand même super chanceux de vivre des trucs comme ça ! Allez, on essaye de faire fonctionner la gopro de l’ami Morgan, test de vidéo de l’iphone et les 15 minutes sont passées. La vache j’ai des frissons en pensant que je pars pour 101km, ça fait peur et en même temps j’ai envie d’en découdre, de savoir si j’en suis capable, si mon courage va me suffire à faire oublier cette préparation bien tronquée.

9h15 (H 0) : Et c’est parti ! Les premiers kilomètres sont super intenses. Je vois ma mère et Jocelyne perchées sur un muret à droite, Jean-Marie perché à gauche. Il y a beaucoup de monde, c’est vraiment chouette. En sortant de Courmayeur, voilà Patrick. Et un peu plus loin, mon père, en mode photographe. Cela fait vraiment plaisir de les avoir vus car, à partir de là, c’est parti pour 50 kilomètres sans assistance.

10h00 (45’ de course) : Le premier col est une belle montée de 1 400m de dénivelé en 10 km. Au bout de 3 km, on passe dans un chemin : le chantier débute. Ça ne parle pas beaucoup dans les rangs. Alors quand on entend de loin « Salomon ! Hoka mafate ! Brooks ! Salomon ! », on se demande tous ce qu’il se passe et on découvre qu’un mec observe toutes les chaussures des concurrents et les crie à ses acolytes qui prennent note. Etrange. Ça monte dur mais, pour l’instant, tout va bien. On monte en file indienne et je garde un bon rythme. Au bout d’un moment, je me retourne. Je regarde en contrebas et là je vois mon pote Guillaume qui double tout le monde comme un fou ! Génial on va se retrouver en haut du col.
Petite aparté, Max avait décidé de m’envoyer des SMS marrant pour me donner le sourire quand je serais dans le dur, premier SMS de Max à 10h48, je souris. Arrivé au sommet, le temps d’un petit besoin naturel et Guillaume arrive, on va faire un bout de descente ensemble jusqu’au refuge Bertone.

12h13 (2h58) : Deuxième SMS de Max, je pouffe de rire comme un con sur le chemin.

12h45 (3h30) : Refuge Bertone, Guillaume a des fourmis dans les jambes, il s’arrête rapidement et repart seul. Moi, je préfère me faire un bon ravitaillement, une bonne soupe (même s’il fait bien chaud), un ou deux bouts de Lonzo (les ravitos italiens… au top) et je repars vers le refuge Bonatti. Les chemins sont sympas, le paysage est top et le soleil est au rendez-vous, après 6h d’effort j’arrive à Arnouvaz, au pied du Grand col Ferret et je me dis que jusque-là tout va bien (même si ça a quand même bien tiré dans les jambes le premier col…).

14h07 (4h52) : Je suis un peu dans le dur avant d’arriver à Bonatti. J’envoie un message à Max pour lui dire. Il me répond. Je souris. (J’ai aussi envoyé le message à Jérém’, réponse identique, je me marre).

15h15 (6h00) : C’est parti pour le Grand Col Ferret. J’ai à peu près récupéré à Arnouvaz mais, là, en sortant, ça se gâte un peu. Il est temps de sortir la veste de pluie. Au bout d’une heure de montée, ça devient vraiment mauvais et vraiment difficile. Il commence à faire froid et je n’ai aucune idée d’où j’en suis dans ce col (oui, je sais, il est peut-être temps que je m’achète une montre). La fin du col est très dure et je me dis que ça va être long parce que si je trouve ça dure maintenant, il va falloir batailler sérieusement pour finir cette CCC (il me reste encore 70km et 3500 m de D+).
Arrivée en haut. Il fait très très froid avec le vent. En plus, on n’y voit rien. Je choisis ce moment parfait pour mettre mes gants. Erreur fatale. Je n’arrive pas à les enfiler et je reste là, 5-10 minutes, dans le froid. Je repars mort de froid, mon short est tout blanc de givre. Je n’ai pas été super malin sur ce coup.

18h00 (8h45) : Je reçois quelques SMS de Max. No comment mais je suis mort de rire

18h30 (9h15) : J’arrive à La Fouly. Enfin, je retrouve mes parents (un peu inquiets, mon pointage avait « buggé » à Grand Col ferret). Cela fait du bien de voir des têtes connues. J’ai la patate mais ça tire pas mal dans les jambes quand même, et il me reste 60km. C’est dans ces moments-là que je sens le manque de prépa. Je me ravitaille tranquillement, je mange ma soupe (Et le fromage ! Et le saucisson !). Et c’est reparti. Là, le bénévole m’arrête et me dit « à partir de maintenant, frontale obligatoire« . Aïe, ça veut dire que la nuit arrive. Et ça, ce n’est pas bon signe pour moi car je suis pas un grand fan du noir. Je repasse 2-3 minutes avec mes parents, je demande des news de Guillaume : tout va bien pour lui, c’est bon ça.

21h15 (12h00 – pour info Pommeret a fini en 10h51) : J’arrive à Champex. Je viens de prendre un violent tire, alors qu’il y avait 10 km de descente sur route et 450 m de dénivelé pour les 3 derniers kilomètres. La pluie est arrivée, la nuit aussi. J’arrive au ravitos le moral un peu dans les chaussettes et d’une humeur pas très sympa pour mes parents, qui m’attendent sous la pluie. Et là, tout m’énerve. Il y a trop de monde dans ce ravito. Et pourquoi ont-ils autorisé les enfants ? Je n’’ai même plus de place pour m’installer ! En plus, il faut faire la queue pour se servir à manger… Heureusement, mes parents sont patients (ils me connaissent un peu, je pense). Ma mère me sèche mes affaires, mon père me remplit ma réserve d’eau, j’essaye de manger comme je peux, je me change et je me calme un petit peu. Bon, j’ai un peu d’avance sur mes prévisions, donc, pour l’instan,t ça va. Et puis, je me dis que j’ai passé la mi-course et qu’à partir de là c’est juste trois montées-descentes d’affilée. Juste…

22h10 (12h55) : Je repars de Champex mais je ne profite pas du décor qui a l’air chouette. Je quitte mes parents et, là, SMS de Max… Mort de rire ! Cela me donne de la force pour continuer, le moral est revenu. Merci mes suiveurs ! Cela fait vraiment du bien.

00h16 (15h01) : Dans la montée vers la Giète, SMS de Max, je souris mais je lui réponds « Putain, là, c’est dur » sur un ton un peu plus grave. Fin des blagues pour le moment. Il préfère m’envoyer des messages d’encouragement (bon, ok, dans les SMS, il y avait quand même une bouteille de Génépy pour m’encourager). Je suis les pieds dans la boue, en pleine nuit, et ça monte de façon sévère. J’espère arriver vite là-haut mais c’est long. En haut, justement, le vent me fouette le visage. Je me demande vraiment ce que je fais ici. Heureusement, trois cents mètres plus tard, je passe le petit portillon et bascule dans la descente. Le moral revient et je descends bien. Je commence à faire des calculs dans ma tête (j’avoue, j’ai toujours du mal à les finir). J’arrive près d’un bâtiment dans lequel il y a de la musique… Réflexion identique à celle de Guillaume : il y a une teuf ici ? Non, juste un ravito sympa, qui sert de la bière (je n’en ai pas pris !) et qui passe de la musique. Allez, c’est reparti, mais je me retrouve dans un gros groupe qui n’avance pas trop dans la descente et je suis pas super lucide pour doubler à la frontale hors du chemin. Donc je perds du temps et ça m’énerve un peu. Je n’ai absolument aucune idée d’où j’en suis dans la descente (oui, je sai,s la montre…). Et, encore une fois, je m’agace.

Photo de famille à Trient !

02h42 (17h27) : J’arrive au ravito de Trient où je retrouve encore une fois mes parents, accompagnés de Jérémy. A ce moment précis, ça fait vraiment du bien parce que, mine de rien, j’ai vraiment broyé du noir dans la montée de La Giète. Bon, il faut l’avouer, ce ravito n’est pas le plus reposant de tous. Certains bénévoles étaient là depuis longtemps et avaient bien passer le temps… Ils ont finis par faire des bras de fer. Un autre fumait son cigare à cinq mètres de moi… Je m’en fiche un peu : l’important est de se refaire la cerise. Une bonne soupe, du réconfort de mes proches et me voilà prêt pour repartir. A ce moment-là, Jérémy me propose de m’accompagner un peu pour le début de la montée vers Catogne, ça va me lancer pour cette section. Dans ma tête, j’essaye de positiver au maximum en me disant « il me reste deux montées-descentes, et c’est fini« . Bon, ok, chaque montée, c’est 800 mètres de D+ et les descentes ne sont pas forcément simples, mais je me dis que ça va passer. Malgré tout, il ne faut pas que je traîne parce que là, sans trop m’en rendre compte, je suis un peu juste au niveau des barrières horaires.

03h15 (18h00) : SMS de Max, je suis mort de rire, mais c’est dur. Je suis un peu Jérémy mais je suis incapable de savoir si c’est un bon rythme. J’avance et c’est déjà ça. Malgré tout, après réflexion je pense qu’en me tirant un peu dessus, j’aurais pu monter plus vite. Mais, psychologiquement, les choses commencent à se compliquer sérieusement. J’ai envie de m’arrêter tous les 200 mètres. Et quand Jérémy me quitte, je craque un peu. Je me pose sur un tronc d’arbre couché (bizarre, ce banc à cet endroit-là d’ailleurs…). Je reste là 5-10 minutes, peut-être 15, à trouver quel ressort psychologique je peux utiliser pour me mettre un coup de fouet (j’en ai déjà utilisé pas mal…). Je réussis à repartir, je ne sais plus comment et j’arrive sur le pointage. Alléluia ! Ou pas. Les bénévoles nous disent qu’il reste encore 100 m de D+ pour basculer dans la descente et qu’il y en a encore pour 20 minutes. Je grogne et je prends un coup au moral mais le chemin est moins pentu donc j’avance. Avant de basculer dans la descente, j’assiste à une scène un peu irréelle : il est 4h45, il pleut, on est à 2000 m d’altitude et là le mec devant moi se pose sur une pierre, enlève son sac, prend quelque chose à l’intérieur et s’allume une cigarette… En même temps au point où l’on en est, autant se faire plaisir…

04h58 (19h43) : SMS de Max… no comment mais ça fonctionne toujours, je suis mort de rire et je bascule dans la descente. Il fait froid, il y a du vent. Mais, bizarrement, je descends pas mal jusqu’à ce que je me retrouve encore bloqué dans un groupe qui n’avance vraiment à rien. Je me contente de suivre bêtement alors que j’ai largement les moyens d’aller plus vite. Ou quand le cerveau lâche un peu… Au bout de 30 minutes, en file indienne, à taper dans les cuisses, je me décide et double la quinzaine de personnes devant moi en ayant l’impression de prendre des risques inconsidérés (ce qui évidemment n’était pas le cas), pour que 100 mètres plus tard le chemin se transforme en route forestière large de 4 mètres. Je grogne. Peu après, j’aperçois Jérémy venu à ma rencontre pour les derniers virages de la descente. Enfin c’est ce que je croyais, il restait plutôt 30 minutes de descente. Je grogne.

06h30 (21h15) : J’arrive enfin à Valorcine avec Jérémy. Mes parents sont toujours là : ça fait plaisir. Cette fois, c’est Jérémy qui se colle au ravitaillement. Il me propose un massage des jambes, je ne peux pas refuser. Il me propose un sandwich jambon de pays, je ne peux toujours pas refuser. Ça fait un bien fou… C’est à ce moment que j’aperçois nos voisins de ravitaillement venu de Chine avec toute la famille et un ravitaillement au… riz cuit à la minute. Sur la table, le cuiseur à riz, donc ! C’est plutôt marrant. Je repars 20 minutes plus tard, le jour se lève ça fait vraiment du bien. En plus, dans la tête, ça va mieux. Il me reste une montée et une descente, je sais que je vais passer dans les délais. Je suis un peu soulagé malgré la fatigue et le manque de sommeil.

Au col des Montets

07h00 (21h45) : Sur le chemin du col des Montets, accompagné de Jérémy, on voit un gars devant nous qui commence à pencher sur la gauche. En 30 secondes, il penche tellement qu’il s’étale sur un grillage à sa gauche. On vient à sa hauteur et on s’aperçoit que le mec vient de s’endormir en marchant… Des zombies de ce genre-là, je vais en doubler une bonne dizaine durant l’heure qui vient. Je croise alors Max qui me dit  : « c’est le bal des zombies devant toi ! Tu vas en rattraper un paquet« . Je ne sais pas comment mais je retrouve du pep’s. J’attaque la montée de la Flégère sur un super rythme et ça tient. Est-ce que c’est le jour qui se lève, le massage de Jérémy, le sandwich ? En tout cas, je me dis qu’à ce rythme-là, je vais l’avaler cette dernière ascension.

07h27 (22h13) : SMS de Max… pas le temps de le lire je vais trop vite ! Allez, je m’arrête 30 secondes, et je me marre !

08h30 (23h15) : La montée avance super bien quand, tout à coup, je vois un panneau Flégère à droite et notre chemin qui descend vers la gauche. « C’est quoi ce bordel, on ne redescend pas déjà ?!« . C’est à ce moment-là que je me rappelle avoir demandé à Jérémy si Guillaume lui avait décrit la dernière montée. Bizarrement, il avait été très vague dans sa description. Je commence à comprendre pourquoi. On est redescendu pendant 30 minutes avant de remonter quasiment la même chose. Je grogne un peu mais j’avance toujours aussi bien.

10h00 (24h45) : J’arrive à Flégère, je suis soulagé. Je comprends que c’est bon : il reste juste à descendre. Pourtant, les bénévoles me disent de repartir vite parce qu’il y a encore une barrière horaire à l’arrivée et ça finit à 12h00. Encore un dernier coup de pression. Je repars et je me lance dans la descente mais les jambes sont vraiment dures. La pluie se remet à tomber mais tant pis. Après tout ce qu’on a pris depuis le départ, on n’est plus à ça près. De toute façon, je n’ai pas quitté ma veste de pluie depuis Arnouvaz, ni mes gants d’ailleurs.

11h20 (26h05) : Je quitte les chemins pour la route, et ça fait vraiment bizarre. Il reste 2 kilomètres ou moins et je me rends compte que c’est la fin de l’aventure, que je vais être finisher et que je vais accrocher cette fichue veste dans mon placard. Allez, j’arrête de penser à ça, je me remets à courir un peu malgré la pluie et les douleurs. Il faut finir maintenant ! L’entrée dans Chamonix est vraiment sympa. Malgré la pluie, les gens applaudissent partout dans les rues piétonnes, ça fait chaud au cœur et je me demande même si je le mérite. Alors je dis merci poliment à tous ceux qui me disent bravo (et il y en a beaucoup !). J’arrive à l’horloge et là je vois tout le monde, c’est vraiment énorme et ça fait vraiment plaisir. Les derniers mètres sont indescriptibles, l’ambiance, le soulagement, la joie de voir tout le monde à l’arrivée. C’est vraiment une belle expérience, je finis exténué, lessivé mais avec une drôle d’envie de revivre ça. Regard à gauche et je vois Guillaume, Fabien et Elodie. Regard à droite et je vois ma mère (et je l’entends), et mon père un peu plus loin, et Patrick qui court avec moi. Encore quelques mètres, les souvenirs sont un peu flous et STOP. Finisher.

Benjamin

A quelques mètres de la ligne…

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